lundi 11 janvier 2010

"Chinois? Euh, en un sens..."

Singapour est un pays tolérant, c'est un des pays les plus hétéroclites du monde. Chinois, Malais, Indiens, Indonésiens, Philippins...et sans compter la catégorie des "expats", c'est avant tout une terre d'immigration où chaque communauté fait son nid librement. Et cette coexistence pacifique, je l’expérimente tous les jours.

Cependant, un racisme spécifique - et pour le moins surprenant- existe. Les singapouriens ont un problème fondamental avec les chinois...Oui, vous avez bien lu, les chinois…qui composent 75% des singapouriens !

Je m'explique: 75% d'entres-eux ont des ancêtres chinois et transmettent leurs valeurs, leur culture. Mais ils n'ont "RIEN A VOIR" avec les chinois de Chine...qu'ils méprisent plus que tout au monde. Et c'est fou, mais c'est unanime. Ca me rappelle le propriétaire d'un appart’ qui nous intéressait et qui était prêt à négocier avec nous car notre concurrent était chinois…et il avait visiblement très peur que l'appart lui revienne en ruines...Même au bureau, pas de problème avec ça, et ça donne un truc comme "les chinois sont bas-de-gamme, mal éduqués...Ils sèment le bazar à Singapour, viennent pour le travail, nous prennent nos boulots et, le plus offensant, refusent de s'intégrer en apprenant l'anglais"…

...Dans la vie de tous les jours, on ne s'en rend pas compte, on parle anglais tout-le-temps-avec-tout-le-monde, mais l'anglais comme langue officielle a une valeur symbolique très forte pour les singapouriens. C'est leur marque identitaire, la preuve qu'ils ne sont pas complètement asiatiques, qu'ils ne sont pas rattachés à la représentation "chinoise". C’est ce qui leur permet de se revendiquer comme différents. Et cette distinction peut aller jusqu’à l’obsession parfois, comme l'illustre le commentaire laissé par une singapourienne sur le site du Straits Time, le premier quotidien singapourien, en réaction à un article qui félicitait un jeune singapourien, major d'Oxford, qui venait de recevoir le prix de l'éloquence: "Quand j'ai lu les nouvelles, le nom Li m'a sauté aux yeux et je me suis demandée...humps, est-ce un "true blue Singaporean" ou encore un autre de ces faux singapouriens? Il est clair que je désenchanterais si ce n’était pas le cas..."

Et ce rejet de l'identité asiatique se voit partout, en particulier à travers mon principal support de travail: le magazine de mode. Les modèles, et en particulier ceux des couvertures, sont révélateurs: ils sont à 90% caucasiens. Or, les mannequins des magazines sont censés être l'idéalisation maximale de notre propre reflet, ils ont pour fonction de représenter ce vers quoi on tend inconsciemment à être...et générer ainsi une certaine créativité. Comment les singapouriens peuvent-ils se reconnaître dans le top-modèle caucasien? Leur modèle est quelqu'un avec qui ils ne peuvent s'identifier…mais dont ils se sentent beaucoup plus proches que leur propre famille, que leur propre reflet. D'ou inévitablement, un décalage permanent qui entraîne une générale atmosphère de frustration.

Je lisais dans le journal il y a quelques temps que de plus en plus de singapouriens commençaient à se plaindre sérieusement des vagues d'immigration qui touchent le pays...Certes, ils ne sont pas hyper contents de l’arrivée d’ "expats" par milliers pour prendre les plus hauts postes, mais entendent cette ouverture comme "vitale" (selon les mots du gouvernement) pour le pays qui peut ainsi exploiter au maximum leurs compétences de haut niveau. Le fait de croire que Singapour sans ses "expats" ne serait rien est, malgré tout, une croyance très forte. Mais pas de pitié pour l'immigration chinoise par contre. Pourquoi? Tout simplement parce que la plupart de ceux qui arrivent ne sont pas "exploitables", ils viennent trouver du travail, prennent souvent les petits boulots qui ne nécessitent pas de parler anglais.

Mais cette progressive rébellion des singapouriens, je vous rassure, ne mènera jamais à une guerre civile. Il y a beaucoup trop d'intérêts en jeu pour que le gouvernement fasse une mini-tentative de restriction de l'immigration chinoise. Et les singapouriens le savent bien, Singapour est en réalité un pays très dépendant de la Chine au niveau économique: depuis la chute du communisme, Singapour reste le sixième pays importateur de la Chine qui est le premier importateur de Singapour. De plus, les entreprises chinoises détiennent 47.31% du PIB singapourien...Vous imaginez le pouvoir.

Mais au-delà de l'économie, l’immigration chinoise a eu beaucoup d’impacts culturels sur la mentalité singapourienne. Même s'ils pensent sincèrement ne pas appartenir au même monde, leurs valeurs sont avant tout des valeurs chinoises héritées du confucianisme, cette idéologie qui prône avant tout l'ardeur au travail, le désir d’apprentissage, l’harmonie et la famille. Selon ses préceptes, les individus doivent nécessairement se recentrer vers la famille pour atteindre l’harmonie, le consensus, la confiance et la responsabilisation.

Je peux vous dire que c’est vrai puisque c'est exactement la mentalité dans laquelle je suis baignée. La fuite permanente de la confrontation me témoigne chaque jour de la valeur fondamentale du consensus. Par ailleurs, le sens de la famille est vraiment sacré. C'est simple, la plupart des singapouriens que je connais- y compris au boulot- vivent encore chez leurs parents…Et le fait qu'ils aient 30 ans voire plus, n'est pas un obstacle. S'il y a une raison financière à cela (les singapouriens ne conçoivent pas le fait de louer un appart, ils veulent absolument acheter, et vu le prix des apparts, c'est un investissement de plusieurs années...), ils y voient également un devoir sacré...au moins jusqu'à ce qu'ils se marient; même si dans la tradition chinoise (que beaucoup suivent encore), les mariés doivent vivre sous le même toit que la famille du marié...

Conseil personnel: ne jamais faire voir Tanguy à mes copains singapouriens, ils me demanderaient à la fin s'il s'agit d'un documentaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

 
> vivre à Singapour