mardi 15 décembre 2009

Temps flottant

"Je pense que tous les photographes doivent passer par le questionnement, cette errance à un moment donné, pour voir quel est leur regard à l'état pur. Car l'errance n'est ni le voyage, ni la promenade etc.

Mais bien: qu'est-ce que je fais là?"



Je viens de finir le livre que mon ami Joel m'avait offert avant mon départ à Singapour: Errance de Raymond Depardon."Tu verras, les photos sont magnifiques" m'avait-il dit.
Depuis trois mois, il a rythmé mes voyages dans le métro, mes petits temps libres, je le sortais un peu par hasard, quand l'envie venait: quelques fois 1 page, quelques fois 3, quelques fois 10.

Il a raison, les photos sont magnifiques. Et plus que les photos elles-mêmes, c'est l'association de celles-ci et de ses mots qui est véritablement captivante. Au point que ce bouquin a été source d'une vraie inspiration pour moi. Pourquoi? Parce que ce livre parle de l'errance. Et plus que de simplement en parler, elle est ici decortiquée, comme si on en avait pris une lamelle et qu'on l'analysait au microscope. Elle est traduite visuellement à travers des clichés d'une très forte identité, mais aussi par les mots, à partir d'une expérience personnelle de la vie. Ici, tout particulièrement j'ai été touchée car ce livre est le reflet de ce que je vis actuellement. Je pense qu'au fond, cette expérience d'errance, je suis en train de la vivre. Mais ce n'est pas une sensation qui serait née a l'intérieur de moi et qui serait complètement indépendante du contexte dans lequel je suis.

Singapour, ce pays, est fondamentalement errance.

Cela se dénote dans le paysage même, l'architecture est si graphique, les perspectives si fortes, le vertige - qui se ressent aussi horizontalement - si présent, que le vide est générateur. J'ai en effet ce très fort ressenti qu'au-delà de l'explosion et de l'énergie que développe Singapour, l'errance est partout et domine tout le monde.

J'ai donc moi aussi ressenti le besoin de vous montrer, à travers mes propres photos, une vision de ce sentiment, ni triste ni gai; juste une sensation très personnelle, que vous ressentirez peut-être, peut-être pas.

voici quelques passages écrits par ce grand photographe qui sont apparus comme une résonnance très forte de mon état d'esprit, de l'environnement dans lequel je vis.


"J'avais hâte d'aller faire mes photos et de traverser les sensations que l'on a quand on fait des photos : la décéption, le plaisir, la jouissance, la frustration, le fantasme, le manque, la joie de découvrir un nouveau lieu, des lumières nouvelles, des odeurs, des monnaies que l'on ne connait pas."



"L'idée forte de l'errance est qu'on ne prend rien à personne. On ne s'accapare pas un lieu. L'errant est quelqu'un qui passe, il ne s'approprie pas. C'est quelqu'un qui partage, qui vient d'ailleurs, qui ne reste pas longtemps, et qui ne tient pas à coloniser. C'est quelqu'un qui à cette idée de partage, même s'il est dans sa propre pensée, dans sa propre quête."


"L'errant en quête du lieu acceptable se situe dans un espace très particulier, l'espace intermediaire. A l'espace intermediaire correspond un temps flottant. Ce temps flottant est le temps du regard sur l'histoire, ou l'errant s'interroge sur le passé en même temps qu'il réfléchit sur son futur proche."


"J'ai besoin du réel parce que je pense que c'est une force qui m'oblige, qui me confronte, qui me dérange, qui m'emporte, qui me dérive, qui me kidnappe peut-être."

" Je pense que le propre d'un photographe, c'est de trahir le réel. Il faut simplement maîtriser cette trahison et qu'elle soit en cohérence avec soi-même."


"L'errance est quelque chose d'extrêmment contemporain. Il n'y a absolument aucune éloge du passé. La force de l'errance, c'est de m'avoir permis de vivre un temps dans le présent. L'errance est moderne."


"L'errant n'est plus le gueux qui, de ville en ville, amuse la foule, ni celui qui s'éxalte sur le paysage orageux.L'errant est le voisin, notre compagnon."


Et c'est vrai, à Singapour, l'errant est mon voisin. Les gens, déconnectés, marchent, déambulent, dans un univers qui ne leur appartient pas, un univers qui ne reflète aucun signe d'appartenance, aucune possibilité d'appropriation aussi.
Aujourd'hui, j'étais surprise du silence qui régnait dans les couloirs du métro, dans les wagons pourtant pleins. Les gens sont si fatigués. Il est 18h30 et c'est comme-ci ils n'avaient plus aucune force. Comme si l'environnement était trop pesant pour leurs petites épaules. Et je comprends: j'en suis la première surprise, mais je partage cette fatigue. Cet environnement si imposant qui, mine de rien, implique de nombreuses exigences.


Mais cette sensation, si elle est éprouvante, est en réalité fascinante. Je ne concois pas l'errance comme quelque chose de mediocre, au contraire. Quand on erre volontairement, je crois que c'est dans ces moments-la qu'on prend conscience, qu'on grandit.

Ce spectacle, ce pays de pré-fabriqués, cette errance collée aux gens dans un univers ou tout est si clinquant, l'indifférence des singapouriens face a l'eurodisney ambiant dans les rues d'Orchard Road, face aux peres noel en papier maché, c'est aussi ca qui fait de Singapour un lieu unique...et un tel décalage vaut assurément le détour.

2 commentaires:

  1. J'adore Depardon aussi. Il faut que tu vois ses documentaires si tu as aimé !!!!

    PS : IL NEIGE ! (héhé)

    Prune

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  2. Superbe article! Ca me donne envie de lire ce bouquin!
    Bonnes fêtes de fin d'année,
    Bises,
    Carole

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